La magie de la bande dessinée a permis à deux enfants fantômes d’exister sous nos yeux. Merci à Michel WELTERLIN et Daniel NGASSU de poursuivre le travail de plaidoyer initié par l’écriture en l’enrichissant par le dessin. Grâce à eux, Arame et Ibou sont devenus les visages du combat pour que les enfants du monde aient droit à une identité.
Ci-dessous une note de lecture que j’ai rédigée pour la Semaine Juridique Editions LEXIS NEXIS :
Faire une note de lecture à l’occasion de la sortie d’une bande dessinée n’est pas un exercice fréquent dans la Semaine Juridique. L’Album « Enfants Fantômes : le destin extraordinaire de Ibou et Arame » (Michel WELTERLIN et Daniel NGASSU Editions Michel LAFON 2023) m’autorise cette chance. Plus largement, elle me permet la narration de la rencontre improbable du notariat avec les enfants fantômes.
Tout a commencé à la fin de l’année 2012, assistant au Congrès des Notaires d’Afrique à YAOUNDE au CAMEROUN, j’ai visité avec mon confrère Abdoulaye HARISSOU, notaire à MAROUA (Cameroun) un orphelinat où la quasi-totalité des enfants ne possédait pas d’acte de naissance. Orphelins et sans identité…
Ma première réaction d’ordre professionnel sur la capacité d’une personne sans identité à signer un acte notarié est vite balayé par la prise de conscience d’un drame humanitaire assez peu connu en France. De rapides recherches et des contacts avec organisations non gouvernementales ont en effet révélé l’étendue d’un problème majeur.
Des centaines de millions d’enfants dans le monde ne sont pas déclarés à l’état-civil au moment de leur naissance. Dépourvus d’identité alors que ce droit est reconnu par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, ils sont impuissants à exercer leurs droits à l’éducation, à la santé ou à la citoyenneté ou à se protéger des mariages précoces ou du travail forcé. Pire encore, ces enfants sont très souvent les proies de trafics mafieux, militaires ou sexuels.
Les causes sont multiples et variées. La désorganisation administrative ou l’absence d’état, les situations de guerre et notamment de guerre civile, la pauvreté et l’éloignement des centres administratifs, les craintes religieuses ou culturelles, ou encore des politiques natalistes autoritaires provoquent des taux de déclarations des naissances souvent inférieurs à trente pour cent et parfois proches zéro.
Il faut ajouter à ces graves atteintes aux droits de l’homme une incapacité des états à quantifier leurs populations, à établir des listes électorales ou à instaures un climat favorable au développement économique.
Avec le soutien du notariat francophone et du notariat français, mon confrère HARISSOU et moi nous sommes lancés dans un travail de plaidoyer intense. Il a débuté par l’écriture d’un livre « Les Enfants Fantômes » (ALBIN MICHEL 2014) qui a bénéficié avec Robert BADINTER d’un illustre préfacier. Grâce à lui, à l’UNICEF et à l’Agence FUTURING PRESS, le livre a bénéficié d’une communication importante qui nous a ouvert de nombreuses portes. Ainsi il a été possible d’avoir des contacts de haut niveau notamment à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF).
Après de nombreux colloques ou conférences et des auditions du notariat, beaucoup d’institutions inscrivent la question à leur agenda. Il serait trop long de tout détailler mais on peut citer une résolution de l’APF sur les enfants sans identité, un rapport de l’Assemblée nationale française, l’inscription dans la feuille de route de la diplomatie française de l’amélioration de l’enregistrement des faits d’état-civil.
La communication s’est poursuivie avec la sortie d’un documentaire diffusé sur CANAL PLUS AFRIQUE et LCP « Les enfants fantômes un défi pour l’Afrique ».
Pendant ce temps, le notariat a contribué à la réalisation d’actions de terrain. En effet, si l’organisation de l’état-civil est une mission régalienne à la charge des états qui peuvent s’appuyer désormais sur les nouvelles technologies, la régularisation des enfants sans identité au moment de leur adolescence est une tâche qui peut bénéficier de l’aide du réseau des notaires dont le maillage territorial est une des caractéristiques.
Ces régularisations se font par la technique du jugement supplétif connu dans de multiples législations. Un juge, s’appuyant sur un certain nombre d’éléments probants délivre un acte de naissance à ceux qui en sont dépourvus. Il faut pour cela aller au plus près des gens, bénéficier d’aides financières ou logistiques. Le réseau notarial est alors très précieux et a démontré récemment au NIGER sa capacité à aider l’action de l’OIF qui a permis la régularisation de dizaines de milliers d’enfants.
La bande dessinée de Michel WELTERLIN et Daniel GNASSU, librement inspirée du livre « Les Enfants Fantômes » va permettre de franchir une nouvelle étape.
Ce média va permettre de toucher de nouvelles personnes en particulier les mères de famille et leurs enfants. Elle narre en effet l’histoire d’un enfant sans identité à la recherche de son père. Son périple et sa rencontre avec une jeune fille sans identité non plus se terminent bien avec la délivrance des précieux actes de naissance.
Lors de la présentation de la bande dessinée au Conseil Supérieur du Notariat, en présence de Sophie SABOT-BARCET, Présidente du Notariat français, le gouvernement français a annoncé par la voix de Monsieur Christophe GUILHOU, Directeur du Développement durable au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, la traduction en wolof de l’ouvrage, lui garantissant une diffusion large en Afrique de l’Ouest.
Laurent DEJOIE
Président Honoraire du Conseil Supérieur du Notariat
Président de l’Association du Notariat Francophone